Cent lettres d’amour du XVIIIe siècle

Au début du film « Manger, prier et aimer », la protagoniste dit qu’elle a une amie psychologue nommée Deborah, qui a été chargée par la ville de Philadelphie d’aider un groupe de réfugiés cambodgiens récemment arrivés en Pennsylvanie.

Deborah se sentait intimidée. Ces Cambodgiens ont subi sous leurs yeux le génocide, la famine, le meurtre de proches, vivant ensemble depuis des années dans des camps de réfugiés et des voyages dangereux en bateau.

Alors, Deborah s’est demandé : comment pourrait-elle comprendre leur souffrance et les aider ? Mais en les rencontrant, devinez de quoi ils voulaient parler ? Ils lui ont dit des choses comme « J’ai rencontré quelqu’un dans le camp de réfugiés, je pensais qu’il m’aimait, mais… »

Peut-être que cela vous semble irréel. Cependant, au milieu de la guerre et de l’horreur, les gens s’attirent, se contrarient, se marient, ont des enfants et s’aiment de manière incontrôlable.

Aujourd’hui, je m’en souviens encore après avoir lu que plus de 100 lettres écrites par des parents et amis de marins français dans le cadre de la guerre de 7 ans avaient été retrouvées.

Ces lettres, datant de 1757, furent envoyées à un navire appelé Galatée qui voyageait de Bordeaux à Québec lorsqu’il fut arrêté par un équipage britannique.

La capture du Galatée a eu lieu avant que la poste française ne l’atteigne dans l’un des ports où il faisait escale.

Par conséquent, les lettres ne sont jamais parvenues à leurs destinataires et ont également été confisquées par la Royal Navy britannique.

Au fil du temps, la correspondance encore non ouverte est devenue une pièce de collection aux Archives nationales de Londres.

Pourtant, 256 ans plus tard, le professeur d’histoire de l’université de Cambridge, Renaud Morieux, demanda l’autorisation de les lire car il sentait qu’ils contenaient des informations importantes sur la vie au XVIIIe siècle.

Après les avoir étudiés, Morieux n’a pu que conclure que, bien qu’écrits par des paysans et aussi par des classes supérieures, ils parlaient de la même chose : l’amour romantique et familial, combien ça fait mal d’être loin de ce qu’on aime et le besoin urgent d’exprimer nous-mêmes.

À tel point que, pour y parvenir, les expéditeurs, qui dans 59 % des cas étaient des femmes analphabètes, se sont tournés vers des « scribes » et des lecteurs au sein de leurs communautés.

En fait, parfois les notaires étaient inclus dans les lettres avec un curieux « le notaire vous salue ».

Ces femmes n’étaient d’ailleurs pas aussi éloignées de la guerre que nous le dit l’historiographie officielle, mais elles détaillaient dans leurs lettres comment elles dirigeaient les affaires familiales, économiques et sociopolitiques pendant que les hommes servaient dans la marine française.

Selon Morieux, ces lettres traitent d’expériences humaines universelles, elles ne sont pas exclusives à la France ou au XVIIIe siècle :

« Ils révèlent comment nous sommes tous confrontés aux défis majeurs de la vie lorsque nous sommes séparés de nos proches par des événements indépendants de notre volonté, comment nous cherchons à rester en contact, à rassurer, à prendre soin des autres et à entretenir notre passion. »

Morieux était particulièrement captivé par une sorte de saga, où Marguerite, la mère inquiète du jeune marin Nicolas Quesnel, se plaignait qu’il écrivait plus à sa fiancée Marianne qu’à elle.

Marianne, de son côté, s’est moquée de sa belle-mère en écrivant « le nuage noir est parti, une lettre que ta mère a reçue de toi illumine l’atmosphère ».

Pour le professeur, ces textes nous parlent aussi d’une époque où les notions de privé et de public n’étaient pas complètement séparées.

Vous pourriez même parler d’amour ou exprimer un désir physique avec des phrases comme « J’ai hâte de te posséder » dans une lettre dictée à une autre personne et qui serait probablement lue par quelqu’un d’autre.

Racontez-moi votre histoire, écrivez-la comme bon vous semble, ensemble nous la façonnons et la partageons. La diffusion des différentes formes d’amour est toujours nécessaire : [email protected]