coopérer ou mourir ? – Revue USP

Par Janice Theodoro da Silva, professeur à la Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences humaines de l’USP

Ce ne sera pas faute de préavis. partie de l’humanité comme l’a dit Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, marche dans l’abîme avec son pied sur l’accélérateur. « L’humanité n’a qu’un choix : coopérer ou mourir », dit-il. La phrase est courte, claire, étayée par une infinité de preuves.

Le Nil, le plus long fleuve du monde, est en train de mourir. Son débit d’eau actuel est inférieur à 3 000 m3/s. Pour vous donner une idée, le débit de Tietê est de 2 500 m3/s, et de notre toujours puissante Amazone, de 209 000 m3/s. L’eau du Nil diminue et la population augmente, et il peut y avoir une augmentation de 500 millions de personnes dans son bassin, jusqu’en 2050🇧🇷 La Banque mondiale avertit que 216 millions de personnes dans six régions du monde pourraient être contraintes de quitter l’endroit où ils vivent d’ici 2050🇧🇷

Beaucoup de gens préfèrent ne pas écouter l’avertissement. Certains disent : je ne serai pas en vie jusque-là. Le problème n’est pas le mien.

Quelle est la racine de l’indifférence ?

Certains parlent des intérêts économiques impliqués dans l’entretien de la tragédie. D’autres vivent le problème, voudraient faire bouger les choses, mais ils sont pauvres, ils n’ont pas les instruments pour lutter contre les défis climatiques, et beaucoup d’autres, la plupart des humains, préfèrent ne se préoccuper que du présent.

L’annonce de la tragédie a été faite lors des COP-26, COP-27 et de nombreuses autres réunions d’experts. La situation actuelle de la planète a été décrite comme le point de basculement, capable de rendre le chaos climatique irréversible.

Quoi de neuf avec les humains? devenu fou? Raison perdue ? Se sont-ils désincarnés des défis auxquels seront confrontées les générations futures ?

Présent passé et futur

Actuellement, ni l’avenir ni le passé n’ont intéressé les humains. Ce qui est vraiment important, c’est le Présent. Pour confirmer l’hypothèse, je signale quelques statistiques actuelles. George Avelino dans un article récent fait référence à des recherches menées par l’Institut Locomotive. Dans ce document, « 57 % des Brésiliens déclarent préférer une meilleure qualité de vie à une vie plus longue ». L’article évoque aussi le peu de valeur accordée aux contrats de travail (CLT), chargés de prévoyance et de retraite (INSS) dans la vieillesse.

Toutes ces variables évoquées, climat, travail et retraite, traitent d’un même thème : le temps. Le temps d’entrer en enfer, le temps de vivre intensément le présent, le temps de prendre sa retraite, le temps de survivre avec ou sans ressources.

Les questions liées à la sécurité de la planète, à la vieillesse ou à la santé sont traitées de manière secondaire. L’important est de vivre intensément le présent, d’être entrepreneur, de ne pas avoir de patron, de jouir de la liberté de ne pas être vacciné, de ne pas penser à l’Autre.

Pauvres habitants de la planète.

Pourquoi sommes-nous, ainsi, attachés uniquement au Présent ?

Le temps et l’espace sont les deux concepts les plus importants utilisés par l’historien. Les humains, insérés dans des époques et des cultures différentes, s’approprient différentes formes de temps. A certains moments de l’histoire, les humains ont accordé beaucoup d’importance au passé, en tirant des leçons. L’histoire, maîtresse de vie, était traitée avec révérence. À d’autres occasions, ils pariaient sur l’avenir, cherchaient des oracles pour prédire les événements.

Les manières de concevoir et de saisir le temps sont très variées.

Pour expliquer les différences, la réponse d’un chinois à une question posée par un occidental est exemplaire :

– Quelle est votre évaluation de l’importance de la Révolution française ?

Les Chinois ont répondu :

– Nous regardons.

Deux histoires, deux conceptions du temps. Une plus courte à l’Ouest, une plus longue à l’Est.

Nous, Occidentaux, avons l’habitude de penser le temps à travers une brève chronologie (si le paramètre est la vie sur la planète), avec quelques repères historiques de consensus en Occident : Antiquité, Moyen, Moderne et Contemporain. C’est une modeste perception du temps possible de représentation dans une ligne chronologique.

la météo aujourd’hui

Maintenant, les choses ont changé.

La conception du temps a subi des changements importants. Le temps a commencé à être mesuré par le clic sur le téléphone portable. Le Présent, élargi par les médias numériques, exigeait de l’agilité, une résolution immédiate des problèmes, est devenu un modèle d’efficacité et d’existence connectée. Quiconque n’a pas de téléphone portable n’a pas de vie, ne communique pas, est un aliéné, un extraterrestre indifférent au temps même de TikTok.

L’historien François Hartog réfléchit sur le sujet. Il parle de la prédominance du présent, qualifiant le phénomène de « présentisme ». Fait référence à différents moments historiques et temporelsà des régimes d’historicité analysant différentes manières de traiter à la fois le temps et la mémoire.

Aujourd’hui, nous produisons et consommons un passé rétréci et traitons l’avenir avec une grande indifférence. La déclaration d’António Guterres, secrétaire général de l’ONU, est inquiétante : « coopérer ou mourir ». Quelqu’un a-t-il écouté?

Comment annoncer aux vivants de la planète Terre que le danger est très proche ? Demandez peut-être aux communicateurs comment lutter contre l’expansion du Présent. C’est un poison injecté par le téléphone portable, altérant la perception du temps des gens. Ils ont oublié le passé, ancien maître de la vie, et l’avenir, protagoniste des projets, des utopies et des illusions.

Comment expliquer aux « bien nés », amoureux du Présent, qu’il existe des limites physiques à l’absorption du collagène, au renouvellement de la jeunesse et de l’énergie ? Ça ne sert à rien, c’est un fait : le temps érode même la mémoire. Il faut se conformer, il est inexorable. Certains pour réconforter racontent des mensonges. Même avec un exercice intense et quotidien, nous n’effrayerons pas le passage des années, la vieillesse elle-même, résultat du temps.

Il y a plusieurs manières de le concevoir. Ne penser qu’à soi caractérise une façon (durant toute une vie) de vivre avec lui. Ne considérer que la famille se traduit par une facture un peu plus importante : s’occuper du temps/de l’espace pour deux ou trois générations. Construire des politiques publiques nécessite de calculer des durées appropriées pour des projets à court, moyen ou long terme. Pronostiquer la vie de la nature dans son ensemble, avec ses rythmes variés de renouvellement, est la façon dont les communautés indigènes traitent le temps. Considérer la planète, sa dynamique dans l’Univers, ses chances d’existence dans le Système solaire représente une manière rationnelle d’affronter le temps, l’apocalypse.

Être indifférent au petit débit du Nil, à la disparition de Tuvalu, petite île du Pacifique ; regarder, d’un haussement d’épaules, les inondations, la pollution du sol, de l’eau et de la mer ; suivre, indifféremment, la marche des foules vers l’enfer, c’est alourdir notre planète Terre.

Parmi tant de vices, l’humanité, baignée dans la révolution technologique, en a choisi un : l’addiction au Présent.

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