Les réflexions d’Ingrid Betancourt après une rencontre face à face avec ses ravisseurs

L’ancienne candidate à la présidentielle Ingrid Betancourt a tenu cette semaine ce qui a probablement été la rencontre la plus difficile après son retour à la liberté.

À la demande de la Commission vérité, elle se retrouve face à face à Bogota avec les anciens dirigeants des Farc, l’organisation de guérilla qui l’a maintenue kidnappée pendant plus de sept ans.

Bien qu’elle reconnaisse les progrès qu’ils ont accomplis pour se conformer à l’Accord de paix, elle dit qu’elle a été surprise par leur froideur et leur rigidité et qu’elle a le sentiment qu’ils n’ont pas encore perdu « l’armure de guerre ».
« Je sais qu’ils ont fait un transit, ils ont fait beaucoup d’efforts, qu’aujourd’hui ils reconnaissent l’horreur de ce qu’ils ont fait, qu’ils ne parlent pas de rétentions mais de kidnappings, je vois tout ça, mais je sens aussi qu’il y a un handicap émotionnel à ressentir », ajoute-t-il.

Mais Ingrid, dont le poids politique reste incontestable, malgré le fait qu’elle renonce à être intéressée par la candidature de la Chambre de Nariño, s’est également entretenue avec Colprensa sur la gestion du président Iván Duque.
« Je me sens inquiet, j’essaie de faire ce qui est approprié, de répondre de manière appropriée à la Colombie, d’être un président qui résout vraiment les problèmes, mais je pense aussi qu’il pourrait faire beaucoup plus s’il se libère de la peur inhérente d’être jugé », commente-t-il après leur rencontre.

De même, lors de son séjour dans le pays, la citoyenne franco-colombienne a déclaré que face aux élections de l’année prochaine, elle soutiendra un projet politique qui se soucie plus des résultats que des insultes.

Qu’avez-vous ressenti lors de la réunion organisée par la Commission vérité ?
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C’était un scénario difficile, d’abord parce que les victimes faisaient un exercice qui nous a coûté cher et parce qu’en plus on découvrait ce qu’on ressentait en voyant des membres des Farc en personne avec nous.

Ça a été pour moi une révélation, dans le sens où j’ai pu au moins pimper une boîte et me dire : ‘eh bien, pas de haine, c’est fait’. C’est du moins ce que je peux te dire, il n’y a pas de haine, il n’y a pas de ressentiment, mais il y a des moments où tu rencontres des gens qui ne t’aiment pas.

Ici il n’y avait pas ça, il y avait une curiosité de comprendre ce qu’ils pensaient de tout ce qui se disait et il y avait aussi un sentiment de fraternité, de fraternité très forte avec toutes les victimes des Farc, de l’âme, c’est-à-dire, Je les ai rencontrés 24 heures avant et nous avons terminé cet acte intimement lié.
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Bien qu’il s’agisse d’un espace très important pour les victimes et pour le pays, une certaine déception a été perçue dans son cas par l’attitude des Farc, de ne pas dépasser le discours politique et de ne pas parler avec le cœur. Est-ce que je l’interprète bien ?
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Oui, mais au-delà de la déception, c’est aussi essayer de comprendre pourquoi il leur est si difficile de se libérer de l’armure de la guerre, c’est-à-dire ce que j’ai ressenti, d’abord, c’est que j’étais devant des gens qui n’arrêtaient pas de penser et l’impression d’être en montagne, une sorte de rigidité, de froideur, qui m’a surpris.

Je sais qu’ils ont fait un transit, je sais qu’ils ont fait beaucoup d’efforts, qu’aujourd’hui ils reconnaissent l’horreur de ce qu’ils ont fait, qu’ils ne parlent pas de rétentions mais de kidnappings, je vois tout ça, mais je sens aussi que il y a une incapacité émotionnelle à ressentir, et je me demande et j’essaie de comparer avec d’autres choses. Donc, par exemple, je pense au processus des paramilitaires, qu’ils rendent leurs armes et vont en prison et du coup le fait de ne pas être dans un espace politique, de ne pas porter une idéologie qu’ils doivent défendre et de se retrouver dans une position de soumission physique comme une prison, du coup ça les a aidés à avoir un transit plus humain, et on voit qu’il y a des gens des AUC (Forces Unies d’autodéfense de Colombie) qui ont beaucoup plus de relation avec leurs victimes .. a précisé que les commandants des FARC.

Peut-être n’y a-t-il pas eu plus de demande avec les Farc pour qu’ils respectent bien ce qui a été convenu dans l’Accord de paix ?
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Non, je pense qu’ils se conforment. Ce n’est pas une question de conformité légale. Ce que je ressens c’est qu’ils sont dans le carcan de leur idéologie, et puis ils filtrent tout par idéologie, et ils continuent à justifier et continuent de parler au pays d’un point de vue politique, il n’y avait pas de scène pour parler au pays d’un point de vue politique. C’était de nous parler à nous, ses victimes, d’un point de vue humain, c’était l’exercice qu’il fallait faire.

Je pense qu’ils ne sont pas en mesure de le faire pour le moment. Cela ne veut pas dire qu’ils ne veulent pas le faire, cela veut dire qu’ils n’ont toujours pas les éléments de vie et d’expérience personnelle pour pouvoir se remettre en question, avec humilité, au point de pleurer pour ce qu’ils ont fait.

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Comment voyez-vous la mise en œuvre de l’Accord en général ?
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Le processus avance, sur certains aspects nous nous conformons, mais pas à la vitesse que nous aurions souhaité, et c’est une confirmation faite par tous ceux qui suivent le processus et en particulier les vérificateurs internationaux.

Les raisons de cette lenteur sont d’abord idéologiques.Je crois que le gouvernement du président Duque veut protéger la sensibilité de nombreux acteurs en Colombie qui estiment qu’on a trop donné aux Farc. Cela produit un certain traumatisme dans le processus, qui ne nous aide pas à résoudre précisément les problèmes laissés par la guerre. Encore une fois, les idéologies nous empêchent de faire le travail que nous avons à faire.

Vous disiez, après votre rencontre avec le président Duque, que vous le voyiez inquiet. Sentez-vous qu’il est en phase avec la situation difficile de troubles sociaux que nous vivons dans le pays ?

Je crois qu’il a la volonté de s’accorder, la volonté, l’intention, c’est là. Je me sens inquiet, essayant de faire ce qui est juste, de répondre de manière appropriée à la Colombie, d’être un président qui résout vraiment les problèmes, mais je pense aussi qu’il pourrait faire beaucoup plus s’il se libère de la peur inhérente d’être jugé.
C’est qu’être sur la défensive n’est jamais bon. Il y a des choses que l’on doit faire et supporter les coûts de ce qui doit être fait. J’espère que vous aurez le temps de le faire, car nous sommes à la fin de votre gouvernement, vous avez un Congrès qui ne vous aide pas et vous avez des limitations budgétaires. La seule chose que je veux reconnaître, c’est que je pense sincèrement que le Président est un homme bon, qui veut bien faire les choses et, dans la mesure du possible, il faut l’aider à bien faire.
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Comment voyez-vous la situation des jeunes Colombiens, touchés par le chômage, le manque d’éducation et maintenant par les violences liées aux manifestations ?

Je vais voir le côté positif. On peut parler de beaucoup de choses négatives, de violence, du problème avec la Police, mais je pense qu’au fond, par rapport aux jeunes que j’ai rencontrés il y a 20 ans dans les mêmes quartiers, je vois des garçons qui, en Contrairement à ceux d’il y a 20 ans, qui regardaient la politique avec mépris, aujourd’hui, au contraire, veulent apprendre la politique, ils veulent faire de la politique et c’est très important pour notre démocratie.

C’est vraiment la lumière au bout du tunnel. Si la Colombie sait canaliser cette énergie et cette volonté de participer à la construction de la Colombie, ce patriotisme… C’est-à-dire que j’ai vu des garçons patriotes aimer la Colombie, parler de la grandeur de leur pays, mais vouloir trouver leur espace au sein d’un pays qui a exclu toute vie.

Le défi ne vient pas du président Duque, ce n’est pas de la police, ni des militaires, bien qu’ils entrent aussi dans tout cela, le défi vient de la Nation, des syndicats, des universités, des syndicats, des organisations religieuses, de tout le tissu social, c’est que nous travaillons tous ensemble pour donner à ces jeunes des opportunités, pour y répondre, afin qu’ils puissent réaliser leurs rêves. La Colombie a une immense opportunité.

« Un jour, nous devrons pleurer ensemble, pour votre souffrance, pour la souffrance que vous nous avez causée et pour la souffrance en Colombie. »

Vous avez dit que vous ne vouliez pas être candidat, mais quel sera selon vous l’enjeu décisif pour les prochaines élections, celui qui inciterait soudain plus de personnes à voter… ?
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Je pense qu’il y a une question de style, qui pour moi va être très importante. C’est-à-dire que le diagnostic est posé, nous le savons. Les propositions sont toutes les mêmes, on sait tous quoi faire, mais le style est très important pour moi. Je crois que nous devons sortir du messianisme et de la polarisation et nous devons trouver un projet politique qui rassemble de nombreuses volontés, où beaucoup de gens participent et contribuent et où l’objectif est de donner au pays une option différente que de passer nos vies s’insulter. , se jeter les armes sur l’autre et regarder pour voir comment ce que l’autre a fait se défait.

Plus de rétroviseur, plus de poursuites, plus de discours ronflants où l’on vous insulte et où l’on vous accuse. Je pense que maintenant, mettons-nous au travail. Autrement dit, nous avons ici un pays qui attend des résultats et nous avons besoin de personnes mentalement de leur caractère, de leur cœur, mais aussi techniquement capables de gérer un pays qui a besoin de réponses maintenant. C’est le projet politique que je vais soutenir.

Voyez-vous quelqu’un qui représente ce projet?

Je vois une coalition qui, je l’espère, créera l’élan pour cela, la Coalition de l’espoir. N’importe quelle coalition du centre, mais j’aime la Coalition de l’espoir et il me semble que ceux qui y travaillent doivent persévérer. C’est difficile, ce n’est pas un chemin facile, c’est un chemin où tout le monde doit s’adapter, tous ceux qui sont dans ce spectre (centre, centre gauche, centre droit), qui veulent sortir de la polarisation, devraient être là et, bien sûr, une consultation interne, un candidat doit sortir qui est soutenu par tous, sans protagonisme, sans personnalités, sans égoïsme, tous œuvrant pour que ce soit bien, pour faire avancer la Colombie.

La paix est avant tout une relation humaine, c’est pourquoi aujourd’hui nous avons fait l’effort de redécouvrir ce qui est profondément humain au fond de nos cœurs, et de le transformer en une parole qui guérit ».