Carabobo et esclavage | Luis Britto Garcia

Toute valeur économique est un travail humain ; tout profit, exigeait du travail humain. Après l’invasion européenne, la tâche des encomenderos et des esclavagistes était de forcer les indigènes à travailler en échange du minimum nécessaire à la subsistance, et si possible, pour moins.

La force de travail des premiers colons était exigée par les divisions et les encomiendas, celle des Africains et de leurs descendants par l’esclavage.

Pendant trois siècles, des unions presque jamais légalement sanctionnées entre pillards blancs, indigènes et afro-descendants ont généré la majorité d’une classe ouvrière sans droits politiques ou sociaux, celle des pardos. Federico Brito Figueroa calcule qu’à la veille de l’indépendance, il y avait 898 049 habitants au Venezuela, dont 45 % étaient bruns, 9,7 % étaient des esclaves, 4 % étaient noirs, 2,6 % étaient des marrons et 18,4 % étaient des indigènes.

Ce fut cette majorité ouvrière de pardos et d’esclaves qui décida les batailles de l’Indépendance ; d’abord avec Taita Boves, qui a offert le pillage ; puis avec les armes patriotiques, qui promettaient la liberté des esclaves et la distribution des terres avec la loi sur les biens militaires de 1817.

Au début du XIXe siècle, l’appareil productif des grands propriétaires terriens de la Costa, du Barlovento et des vallées d’Aragua et de Tuy dépendait étroitement du travail des esclaves.

On répète que Bolívar aurait initié la libération des esclaves à partir de 1816, à la suite de la promesse faite au président haïtien Alexandre Pétion.

Mais un an et demi plus tôt, le 30 juin 1814, avant l’approche des forces de Boves à Caracas, Bolívar décréta la liberté des esclaves qui prirent les armes dans l’armée patriote. Cette mesure s’est poursuivie de manière croissante pendant la guerre d’Indépendance.

Lorsque Bolivar arriva sur la côte orientale du Venezuela, le 2 juin 1816, à Carúpano, il promulgua l’historique Décret de la liberté des esclaves : « Je suis venu décréter, en tant que décret, la liberté absolue des esclaves qui ont gémi sous le joug espagnol dans les trois siècles passés ». C’est la liberté, mais avec une condition forte : s’enrôler dans les forces de l’indépendance. Le 27 juin 1816, il réitère de Carúpano au général Marión, gouverneur du département de Los Cayos, que « j’ai proclamé la liberté absolue des esclaves ». Et le 6 juillet de la même année, depuis le siège de la ville d’Ocumare, il réitère : « Cette malheureuse portion de nos frères qui a gémi sous les misères de l’esclavage est maintenant libre. La nature, la justice et la politique appellent à l’émancipation des esclaves : désormais il n’y aura qu’une seule classe d’hommes au Venezuela, ils seront tous citoyens ».

La Constitution de 1819, inspirée du Discours d’Angostura, déclare dans son titre 1, Section I, Article 14 : « Tout homme capable de contracter peut engager et engager ses services et son temps ; mais il ne peut pas être vendu ou vendu. En aucun cas l’homme ne peut être une propriété générable ».

Après onze années de guerre acharnée où le sang le plus versé a été celui des pardos industrieux et des esclaves affranchis, le 24 juin 1821, les milices de la République se heurtent à celles du colonialisme dans la plaine de Carabobo. C’est le jour du solstice d’été. C’est aussi le jour de San Juan, le saint patron des esclaves dont la fête est célébrée dans tout le Venezuela avec un jour de liberté, que la bataille à venir peut consacrer comme perpétuel. Les tambours ont sonné dans toutes les communautés d’ascendance africaine la veille. Comme s’ils les écoutaient encore, des lanciers à la peau sombre agités se déplacent sur leurs montures, que certains montent à cru. Avec une charge soudaine, ils décident de la liberté du Venezuela, de l’Équateur et de la Colombie. L’un des plus audacieux, Negro Primero Pedro Camejo, ne s’est présenté à Páez que pour lui dire qu’il était mortellement blessé.

Non seulement le héros est mortellement blessé : aussi la liberté offerte des esclaves, réitérée dans les constitutions républicaines suivantes, mais accompagnée de mille restrictions qui retardent son accomplissement effectif. Après Carabobo, l’oligarchie a entamé un processus de recolonisation qui ne s’est pas encore arrêté. A tel point qu’au Venezuela la liberté des esclaves tardera jusqu’au mémorable décret de José Gregorio Monagas de 1854, qui dédommage les propriétaires, et non les malheureux esclaves. Pour ce moment les patrons atteignent l’objectif que les esclaves travaillent pour eux pour la simple subsistance, depuis lors, ils essaieront de faire travailler les hommes libres pour encore moins.

Eh bien, selon l’atroce Adam Smith, « bien que l’usure physique d’un serviteur libre retombe aussi sur son maître, cela lui coûte généralement moins que celle de l’esclave des temps et des nations, que le travail accompli par les hommes libres finisse par étant moins cher que celui fait par les esclaves ».

En effet, l’esclave doit être acheté à un prix élevé, et le travailleur libre ne le fait pas. L’esclave doit être nourri même lorsqu’il n’y a pas de travail, et le libre ne doit pas. L’esclave travaille pour sa subsistance : la libre peut être contrainte de travailler pour moins qu’elle.

À partir de Carabobo, les propriétaires recolonisateurs vendent les récoltes dans l’une des devises étrangères que les autorités laissent circuler librement. Pour les esclaves affranchis et les ouvriers qui sèment et récoltent, il n’y a pas plus de monnaie que des jetons valables uniquement dans les épiceries des rayons, où les propriétaires terriens tiennent une comptabilité délicate des dettes toujours croissantes et héritées par les descendants des ouvriers.

De Carabobo, les travailleurs luttent pour le droit, enfin reconnu dans l’article 91 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, « à un salaire suffisant qui leur permette de vivre dignement et de couvrir pour eux-mêmes et leur famille les besoins matériels et sociaux de base. . et intellectuels ».

Et les oligarchies impérialistes, recolonisatrices et néo-esclavagistes pour les faire travailler pour moins, ou pour rien. Pour cela, il suffit de suspendre les conquêtes sociales réalisées depuis Carabobo.

Plus d’esclavage, quel qu’en soit le prétexte.