Cinéma : tout change

L’annulation du Festival International du Film de Cannes 2020 nous a enlevé une belle occasion de découvrir et de digérer l’évolution et les changements que l’art cinématographique connaît année après année et que Cannes s’efforce de communiquer. Heureusement, et grâce à un effort colossal de la part de ses organisateurs, le Festival a tenu sa 74e édition (il y a quelques jours et pas à la date habituelle) avec toutes ses nouveautés. Décidément, tout a changé et nous sommes arrivés à un cinéma chaque jour plus réaliste et brutal, miroir du monde cruel dans lequel nous vivons. Il le fait sans concession envers ses organisateurs et cinéastes (c’est-à-dire sans trop se soucier de sa rentabilité) et le public (il n’est pas fait pour amuser mais pour avertir, réfléchir, dénoncer et secouer).

Pour montrer un bouton : le film ‘Titane’ de la réalisatrice Julia Ducournau qui a remporté la Palme d’Or, la plus haute distinction du Festival de Cannes, devenant la deuxième femme à remporter le prestigieux prix (la première était Jane Campion pour ‘Le Piano ‘ , en 1993). Un film que je recommande même si beaucoup me reprocheront de le faire car ce n’est ni agréable ni drôle mais intéressant et révélateur (de façon peut-être trop orageuse), pour comprendre le monde dans lequel nous vivons.

Le titre ‘Titane’ est, selon sa directrice, une féminisation du nom d’un métal très résistant à la chaleur et à la corrosion et produit des alliances très dures. Une adhésion à un langage inclusif. Il raconte l’histoire d’une fille -Alexa- (jouée par Aghatte Rousselle) qui subit un accident de voiture, avec son père au volant, ils la sauvent et lui placent un implant en titane dans le crâne. Elle grandit à la recherche de son père, elle devient danseuse aux instincts criminels (elle tue sans hésiter ceux qu’elle juge « corrompus »), elle rencontre Vincent (le grand comédien Vincent Lindon) un être tourmenté et violent, également auteur de divers crimes alors qu’elle cherchait désespérément son fils disparu il y a dix ans.

Les deux personnages s’approchent, se maltraitent mais se comprennent, se craignent mais ont besoin l’un de l’autre, pénètrent leur dureté et leur fragilité mutuelle ; à moitié fou. Les deux comme des navires à la dérive, à la recherche d’affection puisque tout au long d’une relation violente, presque « animale », ils finissent par s’aimer. Selon la réalisatrice Julia Ducounau, ‘Titane’ est une histoire d’amour, pas très conventionnelle.

Il convient de noter que tout au long d’un film aussi étrange, l’ambivalence, la vulnérabilité et le traumatisme de chacun d’entre nous sont explorés. La transformation, la mutation corporelle, les frontières de genre, les frontières de féminité, le physique androgène qui se propage, etc. sont questionnés. Le tout raconté sans grand dialogue mais à travers des images extrêmes, offensantes, blessantes. Le physique des personnages influence et a été préparé avec précision : elle ni homme ni femme et d’une froideur déconcertante ; lui, déformé à cause des muscles excessifs qu’il fait et de son regard perdu qui en dit long et rien. Et la danse qui occupe une place importante dans le film et que son réalisateur juge essentielle pour exprimer des émotions fortes, à la fois douces et violentes.

Un film difficile, sans aucun doute. Et à peine recommandé malgré sa qualité incroyable. Décidément tout change. Et dans ‘Titane’, c’est clairement montré. Ne m’en voulez pas si vous le voyez… Après tout, il a remporté la Palme d’Or à Cannes et il est temps de le voir.
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