Le fruit défendu
Vous serez comme Dieu si vous goûtez au fruit de l’Arbre de la Connaissance.
En le mordant, vous saurez seulement que Dieu est mort.
Caïn
Je suis l’élu de Dieu
Mon Dieu est le couteau du massacre
Mon autel le camp d’extermination
Mon psaume le meurtre
Mon offrande du sang des innocents
Je tuerai mon Dieu quand il ne restera plus aucun être vivant.
Les faux prophètes
Ici, ils appellent la victime le bourreau
Là, ils appellent la défense contre l’agression
Là, le vol est décrit comme un cadeau
L’honnêteté est le nouveau nom de la fraude
Le jour est la nuit et la nuit est un cauchemar
Ceux-ci peignent l’enfer comme le paradis
Le nettoyage ethnique s’appelle la pureté
Le patriotisme, c’est se vendre à l’étranger
Retranchées sont les langues qui ne chantent pas la fraude
La seule vérité est la force, qui ne fait que mentir.
Le veau d’or
Le prophète revint de sa retraite dans la montagne avec les tables de la loi à la main.
En arrivant au camp, il constate que tous les fidèles portent sur leurs épaules des effigies du Veau d’Or.
Le Veau d’Or était devenu la seule religion au monde.
Ses fidèles exterminèrent tous ceux qui ne partageaient pas son culte.
Tous ses croyants moururent écrasés sous le poids du métal doré.
Le journal du garçon Abel
Ils nous font sortir de nos maisons et nous donnent la route comme patrie.
Nous sommes la lie de la terre et les élus de Dieu sont nos bourreaux.
Parce que nous ne savons pas tuer, la mort est notre destin.
Notre défense est qualifiée de crime.
Chaque pas nous éloigne de nous-mêmes.
Ni les femmes, ni les personnes âgées, ni les enfants ne sont pardonnés pour les crimes qu’ils n’ont jamais commis.
Avec le sang et le feu, ils nous exterminent et chantent des hymnes pour que notre silence ne soit pas entendu.
Par leur nom, ils nous infligent l’insulte et par leur nom de famille, ils nous infligent l’oubli.
Le tunnel est le lit, les décombres sont l’oreiller.
Les cendres sont nos frères et nos larmes actuelles.
La mémoire appartient au feu et l’espoir au vent.
L’espace est le mur et la serrure de la porte.
A part la douleur, tout a disparu.
Dans ma dernière heure, je vous supplie de ne jamais faire aux autres en mon nom ce que vous me faites maintenant.
(Ni le lieu ni la date n’apparaissent dans ce journal partiellement détruit retrouvé parmi les décombres d’une ville complètement détruite.
Vous devez les terminer devant les élus de Dieu
supprimez ces lignes, et vous avec elles).
Pendant
Conversation de l’oubliable. Le Forum de la Conversation Oubliable a lieu dans Paraninfo. Inutiles sont les efforts contre l’oubli ingrat qui nous ensevelit tous. Ils peinent et s’efforcent de choisir les modalités de l’oubliable. Ils affichent la parure et la beauté. Ils répètent dans les orchestres de grosse caisse communs. Les décorations qui promettent de les éterniser sont distribuées et épargnées. Les curriculum vitae et les mémoires sont lus. Il y a des applaudissements discrets pour rien. Tout le monde pleure tôt la mémoire de son défunt. Que se passera-t-il à la fin du Forum ? Cela ne ferait que ralentir l’amnésie en la rendant infinie. La majorité du public consulte les téléphones portables.
Excès de mots. Le problème des mots excessifs est irrémédiable. Sauf en cas d’excellence, ils devraient tous être enterrés avec leurs paroles. Le seul soulagement est celui de ceux qui, par lâcheté ou par intérêt, les avalent. Celui aussi de tant de grands mots qui, à force d’être utilisés, finissent par signifier le contraire. Cela explique pourquoi les pouvoirs s’effondrent à long terme. Le verbe annule le verbe. Des pyramides d’expressions creuses s’amoncellent sur les cadavres et même sur les vivants… Au final il n’y a que le silence.
Annuaire. C’est le tableau des redditions. C’est le box-office de la gestion de la dissimulation. Au-delà de toutes les portes anonymes qui s’ouvrent à vous. Ensuite, il y a l’ascenseur qui vous emmène aux fenêtres fermées. En tournant à droite, vous arrivez à la distribution des masques. Dans l’autre couloir, ils ne livrent les billets nulle part.
Zone revendiquée. À d’autres époques, nous remettions la controverse sur une zone de notre pays à la décision d’un tribunal étranger et ils la transformaient en une zone de revendication, le tout recouvert de bandes bleues transversales. Nous continuons à soumettre les décisions dans davantage de régions du pays à davantage de tribunaux, à davantage de conseils d’arbitrage et à davantage de tribunaux étrangers et, sans exception, nous les perdons. Aujourd’hui, nous nous sommes tous réveillés peints de rayures bleues transversales. Espérons que notre sort ne soit pas à nouveau décidé par un tribunal étranger.
Sosie. À mesure que l’informatisation progresse, chacun remplace sa présence physique par des images. Dans un nouveau développement intéressant, les images acquièrent une présence physique. Nous sommes désormais des images, reflets uniquement de leurs présences. Des êtres dont les sens et le cerveau ont été modifiés pour percevoir tous les rayonnements du spectre sensible et insensible – des rayons gamma aux neutrinos. Nous percevons donc simultanément tous les messages transmis par tous les médias, du téléphone aux chaînes de télévision en passant par le réseau des réseaux. Ainsi, tout ce que l’on attend depuis longtemps est réalisé : la théorie du tout, la connaissance de la chose en soi, la formule mathématique de l’amour et de la beauté, l’explication de l’être. Personne ne peut y résister. La vision brûle d’un midi splendide qui n’éclaire que le vide.
P.S : J’invite cordialement tout le monde à mes activités à Filven 2023. Ce samedi 11 à 14h, présentation à l’Hommage à Gabriel García Márquez. Lundi 13 à 18h, présentation du roman Happy, du dynamique Miguel Ängel Pérez Pirela. Le mardi 14 à 14h, présentation du livre L’hier qui a fait le présent, de l’attachant Domingo Alberto Rangel, édité par Vadell. Le 19 à 18h. présentation du Débat sur l’économie vénézuélienne, par Editorial Trinchera, qui comprend des présentations de Pasqualina Curcio et de votre humble serviteur. Bonne lecture, Luis Britto