Polarisation

Lorsqu’une société traverse un bouleversement majeur ou un conflit avec l’extérieur, pour rétablir le cadre institutionnel et garantir la non-répétition de ce qui s’est passé, elle doit accomplir au moins trois tâches : réparer les victimes, identifier les responsables et les élaboration du sens de ce qui s’est passé. Sur ces trois aspects, nous avons une très mauvaise expérience en Colombie. Ce pays a payé très cher la manière précaire dont a été « résolue » la « violence » des années 50. Les négociations ultérieures avec les groupes armés se sont bornées à accorder des amnisties inconditionnelles aux ex-combattants.

Les négociations de La Havane s’inscrivaient dans des revendications beaucoup plus importantes. Les victimes, qui n’avaient jamais été protagonistes, sont désormais au centre du processus. La Commission vérité, dirigée par le Père De Roux, doit remettre un rapport d’ici la fin de l’année. Le problème le plus critique et le plus complexe est la répartition des responsabilités, le cœur du problème actuel.

Les FARC (et d’autres groupes armés) ont commis de nombreuses atrocités, qui ont entraîné la réaction de divers secteurs, de l’État et de la société civile. Cependant, le « remède » s’est avéré aussi grave que la « maladie ». Le crime atroce a été répondu par le crime atroce, l’attentat contre les populations par des massacres. L’État a eu recours à des moyens illégaux pour les combattre, comme le montrent les faux positifs, pour ne citer qu’un exemple. Les paramilitaires ont développé leur propre agenda avec le trafic de drogue et l’appropriation des terres et ont contribué de manière très significative à la dégradation du conflit.

Les accords de La Havane ont établi ce qui devait être : créer un système de justice transitionnelle qui traiterait tous les acteurs impliqués dans des crimes odieux avec les mêmes critères. On ne pouvait pas répéter l’histoire d’appliquer des peines légères à certains tandis que d’autres ont été condamnés à de longues années de prison, comme cela s’est produit avec les militaires engagés dans la reconquête du Palais de Justice qui ont fini en prison tandis que ceux du M-19 bénéficiaient d’un amnistie.

La principale source de la polarisation que nous vivons aujourd’hui est à ce stade. En Colombie, personne n’est ennemi de la paix. Le désaccord vient de secteurs qui souhaitent qu’un critère de « responsabilité sélective » soit appliqué, qui ne touche qu’un seul secteur du concours.
Beaucoup considèrent que la réaction contre les Farc était un simple acte de légitime défense face à une menace imminente et actuelle (art. 32, Code pénal), exonérant de responsabilité. Mais le fait est que ce n’était pas le cas. Peu importe qui a porté le premier coup, le problème est qu’il y a des responsabilités multiples et à des degrés divers.
Combien de personnes n’ont pas justifié les atrocités des paramilitaires à l’époque ! La peur des poursuites est ce qui a conduit un secteur important à s’opposer au processus de paix, même si le sort de ce pays est sacrifié, afin de sauver sa propre peau. Nous avons toujours tendance à nous exonérer de nos responsabilités et à les faire peser sur les autres. Mais dans une certaine mesure, nous sommes tous responsables.

Est-il alors possible de surmonter la polarisation quand sa cause est l’impossibilité d’accepter les multiples responsabilités dans le conflit ? Est-il possible de construire la paix sur la base d’une « impunité sélective » qui ne s’applique qu’à un seul secteur ? L’Argentine, après la dictature, a opté pour une « loi du point final » pour garantir l’impunité aux militaires, ce qui a finalement été un échec. Le fait est que tant qu’une solution ne sera pas trouvée au problème des responsabilités dans le conflit, nous continuerons à souffrir d’une polarisation dont les résultats ont été la perte de légitimité de l’État, avec les graves conséquences que nous ont vu dans la récente flambée sociale. Je crains que l’avenir de la Colombie soit en ce moment entre les mains de la rectitude des juges dans l’application des normes juridiques à la définition des responsabilités. Sortir de ses préjugés est extrêmement difficile.